Au moment où elle va rencontrer Jésus, Marie-Madeleine est dans tout l'éclat de sa jeunesse, dans toute la gloire de sa beauté. Elle vit sans frein, à bride abattue, elle est libre. Elle est hors-la-loi et s'en trouve fort bien. Autour d'elle, toute une société la condamne, et en premier lieu les gardiens de la loi, Scribes et Pharisiens, auxquels elle fait horreur. Elle récuse le jugement des juges. Libre, est-elle heureuse? Il y a toujours un moment de bonheur, quand on secoue le joug et qu'on le brise. Pour elle, le moment a peut-être duré longtemps. Les peintres, esclaves de leur oeil, l'ont toujours représentée avec une opulente chevelure blonde, un long manteau de pourpre, comme une impératrice. Elle est l'Impératrice des désirs. Heureuse, Marie-Madeleine l'était sans doute moins qu'elle ne voulait le paraître. Sinon, comment aurait-elle eu le courage, ou même l'idée, d'aller à la rencontre de Jésus, cherchant auprès de lui ce que nul homme ne lui avait jamais donné? Le père Bruckberger nous raconte de sa manière incomparable l'histoire de Marie-Madeleine dont il nous donne, comme dans Marie, mère de Jésus-Christ, une image originale et neuve: celle de la femme orgueilleuse dont le destin bascule, qui se soumet d'un coup et devient l'une des plus proches de Jésus.

Les biographes anciens (Chocarne, 1866, Foisset, 1870) ou récents (Cabanis, 1982) du Père Lacordaire passent pratiquement sous silence la dernière œuvre littéraire du très célèbre conférencier de Notre-Dame de Paris, cette vie de sainte Marie-Madeleine, écrite sur son lit de mort, en 1860. Dominicain, restaurateur de son Ordre en France sous la Monarchie de juillet, Lacordaire était très attaché à la figure de la sainte amie de jésus et à son culte implanté en Provence dès la fin de l'Antiquité. Reprenant à son compte la tradition grégorienne qui assimile, en une seule personne, Marie la pécheresse publique, Marie de Béthanie, sœur de Lazare et de Marthe, et la femme égarée que Jésus délivra de sept démons, Lacordaire vise à figurer, dans sa particularité spirituelle, la femme qui apparaît comme un irait d'union symbolique entre l'humanité désirante, blessée et ruinée dans son appétit d'amour, et le Christ, générateur de pardon et de charité. Il ne nous appartient pas de prendre parti dans la querelle des historiens autour de l'authenticité des reliques de sainte Madeleine, déposée dans la basilique de Saint-Maximin, près des Baux de Provence. Lacordaire n'hésitait pas sur ce point de controverse. Attaché à une tradition vivace dont la Légende dorée s'était fait l'écho, il ne donne pas dans un provincialisme désuet, mais il campe, avec pudeur et dans un souci de fidélité aux évangiles, l'image de celle que Jésus aima entre toutes les femmes. C. L.-C.